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ÉTUDE DES CONSÉQUENCES DE L’ABUS SEXUEL SUR ENFANTS, à PARTIR DE CAS NON CLINIQUES

 

Exposé présenté au symposium patronné par Paulus Kerk à Rotterdam, le 18 Décembre 1998.

Dr Bruce Rind, département de Psychologie, Université du Temple ;

Dr Robert Bauserman note 1, Département de Santé et d’Hygiène Mentale, Etat du Maryland ;

Philip Tromovitch, candidat au doctorat à l’Université de Pennsylvanie.

Table des matières

Va à » Compte-rendu des publications
Va à » a) Compte-rendu qualitatif des publications
Va à » b) Limites des compte rendus qualitatifs
Va à » c) Compte-rendu quantitative des publications
Va à » Échantillons nationaux
Va à » Échantillons étudiants
Va à » Milieu familial
Va à » Discussion
Va à » L'abus sexuel sur enfant: une construction remise en cause
Va à » Échantillons non cliniques sur la sexualité garçon-adulte 
Va à » Conclusion
Va à » Les notes

 

En Amérique, au début des années 70, les professionnels de la santé mentale, les politiciens, les forces de police, les médias et le public en général ont commencé à s’intéresser de très près à l’abus sexuel sur enfants, que nous noterons ici ASE. Peu à peu, cette préoccupation a gagné de nombreux pays dans le monde. Les médias, la presse populaire et les publications scientifiques ont généralement dépeint l’ASE comme une expérience particulièrement traumatisante, une " force destructrice pour la santé mentale de l’adulte ". Par exemple, dans le plus grand journal américain de psychologie clinique, les auteurs d’un article récent affirmaient qu' " il y a peu d’événements dont la capacité de traumatisme puisse être comparée à celle de l’abus sexuel sur enfant ", ce qui signifie en fait que rien, quasiment, ne peut être pire pour une jeune personne que de vivre ce type d’expérience. Quelques spécialistes de la santé mentale ont même tenté d’expliquer que la plus grande partie, voire la totalité des psychopathologies adultes sont la conséquence d’un ASE.

De l’avis général, on estime depuis ces vingt dernières années que l’ASE possède les propriétés de base suivantes :

il cause des dommages ;

il a une action profonde et généralisée ;

il a un effet négatif identique pour les garçons et les filles.

Suivant cette théorie, les propriétés de l’ASE sont les mêmes, que l’on considère des malades en thérapie (échantillons cliniques) ou non (échantillons non-cliniques). Ces dernières années, nous avons fait porter nos recherches sur l’étude des propriétés de base supposées de l’ASE.

La question que nous avons posée, et à laquelle nous allons tenter de répondre dans cette présentation, est la suivante : ceux qui ont connu l’expérience d’un ASE ont-ils subi des dommages psychologiques profonds et généralisés, quel que soit leur sexe ? Avant de parler de nos recherches, il est important de définir la terminologie employée. Le terme abus sexuel sur enfant a été utilisé dans les publications de psychologie pour décrire en fait toutes les interactions sexuelles pouvant avoir lieu entre des enfants ou des adolescents et des personnes sensiblement plus âgées, ainsi que des rapports entre enfants et adolescents du même âge lorsqu’il y a contrainte. Pour des raisons de validité scientifique, de nombreux chercheurs ont critiqué l’emploi indifférencié de ce terme, ainsi que ceux connexes de victime et d’abuseur note 2. Il a été noté que les chercheurs ont souvent omis de faire la distinction entre l’abus en tant que dommage causé à un enfant et l’abus en tant que violation des normes sociales.

On ne peut en effet tenir pour acquis que la transgression des règles sociales conduit à des dommages. Il a également été noté qu’en matière sexuelle, notre société a tendance à confondre ce qui est interdit et ce qui est dommageable. Il a également été dit que l’emploi inconsidéré de termes suggérant la force, la contrainte et le mal reflètent et confortent l’idée que ces rapports sont toujours dommageables, ce qui nuit à leur appréciation objective note 3.

Lors de recherches précédentes, nous avons démontré expérimentalement que les lecteurs de rapports scientifiques traitant d'interactions non-négatives entre adolescents et adultes sont influencés par l'emploi de termes chargés négativement, tels que "abus sexuel sur enfant" . note 4

Les problèmes posés par l'emploi du terme "abus sexuel sur enfant" apparaissent plus clairement si l’on oppose des cas aussi différents du viol répété d'une petite fille de cinq ans par son père, qui provoque sans aucun doute de sérieux dommages, et la relation sexuelle consentie d'un adolescent de quinze ans, mature, avec un adulte n’appartenant pas au cercle familial qui, bien que contraire aux lois sociales, peut n'impliquer aucun dommage.

En classant ces deux événements très dissemblables dans la catégorie unique d’abus sexuel sur enfant, on porte préjudice à la compréhension scientifique de chacun d'eux.

En gardant à l'esprit les inconvénients du terme "abus sexuel sur enfant", nous continuerons tout de même à l'utiliser car il est constamment employé par les auteurs des études que nous avons examinées. Cependant, nous mettrons ultérieurement en cause la validité de ce terme, lorsque nous aurons fait état de nos données et de nos analyses.

Cela dit, suivant en cela l'usage courant, nous définirons l'ASE comme une interaction sexuelle impliquant un contact physique ou pas (comme dans l'exhibitionnisme), entre un enfant ou un adolescent et une personne sensiblement plus âgée ou entre enfants /adolescents du même âge lorsqu'il y a contrainte.

 

COMPTE RENDU DES PUBLICATIONS.

En Amérique, vers la fin des années 70, des chercheurs ont commencé à examiner sérieusement les implications psychologiques de l'ASE. De nombreuses études sur le sujet ont été publiées. Celles-ci ont ensuite fait l'objet d'un autre type de recherche qui consiste à passer en revue les études disponibles et à en faire la synthèse. Beaucoup de comptes rendus de publications sont apparus ces quinze dernières années, mais n'ont pas abouti à des conclusions unanimes. Cependant, un bon nombre d'entre eux ont accrédité la thèse des dommages causés, de leur fatalité, de leur intensité et de leur équivalence quel que soit le sexe, venant ainsi renforcer les idées répandues sur l'ASE.

Nous allons examiner successivement les deux types de compte rendu : qualitatif, puis quantitatif.

 

a) COMPTE RENDU QUALITATIF DES PUBLICATIONS.

Dans ce premier type, le chercheur confronte un certain nombre d'études et résume de façon narrative ce qu'elles semblent démontrer. Le chercheur donne au lecteur – à l'aide de mots et de descriptions plutôt que par des formules mathématiques – son interprétation sur les conclusions tirées des études dans leur ensemble.

Les auteurs de ces comptes rendus qualitatifs ont généralement conclu que l'ASE est associée à une grande variété de troubles psychologiques tels que la colère, la dépression, l'anxiété, les désordres nutritionnels, l'abus de drogues et d'alcool, la perte de l'amour-propre, les difficultés relationnelles, les problèmes de comportement sexuel, l'agressivité, l'automutilation, le suicide, la dissociation, le stress post-traumatique et beaucoup d'autres encore. Le plus souvent, ils sont partis du postulat que l'ASE était à l'origine de ces problèmes et ils ont affirmé ou laissé entendre que la plupart des personnes qui avaient vécu un ASE en seraient un jour affligées. Certains ont même souligné que les garçons n'étaient pas moins touchés que les filles. Un groupe de chercheurs a qualifié de mythe l'idée que les garçons pourraient être moins affectés que les filles. Un autre chercheur a qualifié d'exercice futile tout effort pour déterminer si garçons ou filles étaient plus ou moins négativement affectés et conclu que l'ASE produit un effet délétère sur ceux qui en sont victimes quel que soit leur sexe.

Tous les chercheurs ne sont pas cependant parvenus aux même conclusions. Certains ont fait remarquer qu'il fallait traiter les liens de causalité avec la plus grande prudence et noté que l'ASE est si généralement imbriqué dans des problèmes de milieu familial qu'il n'est pas vraiment possible de dire si les plus grandes difficultés d'adaptation éprouvées par les sujets ayant vécu une ASE sont dues à l'ASE lui-même ou à un milieu familial défavorisé. Un certain nombre de chercheurs ont fait ressortir que les conséquences d'une ASE sont variables plutôt que systématiquement négatives.

Constantine, par exemple, dans un des comptes rendus les plus anciens, a découvert que les conséquences négatives étaient souvent absentes chez les sujets issus d'études non cliniques. Il a conclu qu'il n'y avait pas d'issue inévitable ou de réaction type et que les réactions à l'ASE sont tempérées par des facteurs non sexuels comme le libre consentement à la rencontre sexuelle tel qu'il est perçu par le jeune partenaire. Enfin, quelques chercheurs ont noté que les garçons avaient tendance à réagir de façon beaucoup plus positive ou plus neutre que les filles.

 

b) LIMITES DES COMPTE RENDUS QUALITATIFS.

Que pouvons-nous conclure de l’ensemble de ces comptes rendus qualitatifs ? Pas grand chose en fait, et il y a plusieurs raisons à cela. Tout d’abord, les conclusions sont différentes d'un compte rendu à l'autre ; mais aussi, et c'est encore plus important, les études s’appuient sur des échantillons biaisés, et se sont trouvées faussées par la subjectivité et l'imprécision des auteurs.

Echantillons biaisés.

Tous ces comptes rendus qualitatifs, à une exception près (nous y reviendrons plus tard), étaient basés principalement sur des échantillons cliniques ou judiciaires. On ne peut prétendre que des échantillons cliniques ou judiciaires de victimes d'abus représentent l'ensemble des personnes ayant une expérience d'ASE. C'est là un point très important que nous allons développer un peu.

On a jadis acquis la "preuve" que la masturbation causait des maladies mentales en observant que les malades en asile psychiatrique se masturbaient. On a jadis acquis la "preuve" que l'homosexualité était une pathologie sur la base d'échantillons psychiatriques et carcéraux. Quand on prenait des exemples non cliniques, l'homosexualité et la masturbation apparaissaient sous un jour bien différent et beaucoup plus véniel. Par analogie, nous devons étudier l'ASE au sein de populations non cliniques afin de déterminer s’il est toujours dommageable pour l'individu, et à quel degré.

Quelques études d'ASE se sont appuyées sur des échantillons cliniques de taille importante, ce qui semblait autoriser les critiques à conclure que l'ASE était hautement destructrice. Mais l’analyse d’un échantillon de taille élevée ne garantit pas la pertinence des conclusions de l’étude. Pour nous en persuader, rappelons un exemple fameux.

En 1936 aux Etats Unis, le républicain Alf Lindon se présentait à l'élection présidentielle contre le démocrate Franklin Roosevelt. Deux semaines avant l'élection, le magazine Literary Digest envoya 12 millions de cartes postales pour demander aux électeurs pour qui ils allaient voter. Il reçut 2,5 millions de réponses, 57% votant pour Lindon et 43 % pour Roosevelt. On sait que la véritable élection donna le résultat opposé. Que s'est-il passé ? Le magazine a obtenu son échantillon à partir du fichier des immatriculations de voitures et de l’annuaire du téléphone. En 1936, au cœur de la dépression, les électeurs qui possédaient une voiture et le téléphone étaient parmi les plus aisés et, en conséquence, avaient plutôt tendance à voter Républicain. De ce fait, l'échantillon n'était pas représentatif. Le grand nombre de réponses obtenu (2,5 millions) ne pouvait compenser la non-représentativité de l’échantillon.. Un échantillon représentatif de 1000 personnes, tel qu'on en utilise couramment aujourd'hui, est largement préférable pour obtenir des résultats valables. Le principe est que la taille d’un échantillon ne compensera jamais sa non-représentativité.

Les conclusions de 150 études cliniques apportent beaucoup moins d'information que les conclusions d'une seule étude représentative. Le grave défaut de la plupart de ces comptes rendus est de se limiter aux échantillons cliniques et judiciaires. Il est problématique de tirer des conclusions de ces échantillons cliniques et judiciaires non seulement parce qu'ils ne sont pas représentatifs de la population dans son ensemble, mais aussi parce que les données provenant de ces échantillons risquent fort de n’avoir aucune valeur.

Cela tient en particulier aux convictions du thérapeute. Si celui-ci est convaincu, comme beaucoup l'étaient à une époque, que l'homosexualité est un facteur de déséquilibre, il ne sera pas enclin à rechercher d'autres causes potentielles au déséquilibre d'un malade homosexuel. Du même coup, la certitude du thérapeute qu'il a bien affaire à une pathologie se trouve confirmée. Le même raisonnement peut s'appliquer à l'ASE. Prenons un exemple resté célèbre. Le psychiatre Fred Berlin était chargé d'examiner le Président de L'American University qui venait d'être arrêté pour avoir passé des coups de téléphone obscènes. Le patient confia à Berlin qu'il avait eu une relation incestueuse avec sa mère à l'âge de 11 ans et aussi qu'il avait été battu de façon répétée et continue durant tout son enfance. Convaincu comme il l'était que l'ASE avait le pouvoir de créer une pathologie, Berlin s'est fixé sur l'inceste et en a fait la cause de tous les problèmes de son patient. Il a ensuite utilisé cet exemple pour prouver le pouvoir dévastateur de l'ASE. Mais face à des abus physiques à la fois plus dominante et plus profonds, ses conclusions semblent pour le moins sujettes à caution.

Cet exemple montre comment un examen trop sélectif des éléments de preuve a permis de renforcer les idées préconçues du thérapeute quant à la dangerosité de l'ASE. Cela ne signifie pas que l'ASE ne soit jamais à l'origine du déséquilibre d'un patient, mais plutôt que les attentes d'un thérapeute peuvent singulièrement distordre sa perception du rôle joué par l'ASE dans le déséquilibre d'un patient.

Subjectivité et imprécision.

Les comptes rendus qualitatifs sont entièrement narratifs et donc sujets aux interprétations subjectives du critique. Les auteurs qui sont convaincus que l'ASE joue un rôle majeur dans les psychopathologies adultes peuvent être en proie à un préjugé de confirmation, c'est-à-dire qu'ils ne notent et ne décrivent que les résultats de recherches faisant état d'effets néfastes, mais ignorent ou s'intéressent peu aux résultats montrant des issues non négatives ou positives, ce qui leur permet de confirmer leur conviction initiale.

De même, les gens qui croient à l'astrologie sont très impressionnés quand les prédictions de leur horoscope se vérifient mais, quand ce n'est pas le cas (c'est à dire la plupart du temps), ils l'oublient très vite. Grâce à ce préjugé de confirmation, ils restent convaincus de la valeur prédictive de l'astrologie. Pour confirmer l'existence d'un préjugé de confirmation dans les recherches sur l'ASE, nous avons l'exemple de Mendel qui a rendu compte d'une étude comprenant deux échantillons différents d'étudiants. Dans le premier, aucune association n'a pu être faite entre l'ASE et des problèmes d'équilibre. Dans le second, plus petit, quelques associations purent être faites. Mendel n'a pas tenu compte des résultats du premier échantillon, mais il a utilisé le second pour confirmer que l'ASE était bien un facteur de déséquilibre. Nombre de ces études qualitatives ont souffert d'un problème majeur : une attention très sélective portée aux résultats examinés.

L'imprécision constitue un autre problème de taille. Dans le cas précédent, Mendel a utilisé un exemple de confirmation pour prouver que l'ASE était une cause de dépression, d'angoisse et tout ce qui s’en suit. Dans son rapport, il omet de préciser que l'association entre l'ASE et les symptômes constatés était faible. C'est pourtant une information de première importance, qui interdit de conclure comme l'a fait Mendel que l'ASE produit des effets d'une grande intensité. Le problème s'est posé dans tous ces comptes rendus qualitatifs de publications : les études montrent des différences de comportement minimes – bien que statistiquement significatives – tandis que les auteurs forcent les résultats et parlent de conséquences graves. Il est nécessaire que les auteurs utilisent un traitement statistique honnête et précis, faute de quoi ils seront enclins à exagérer les résultats s’ils considèrent déjà, a priori et à titre personnel, que l'ASE est hautement destructive.

 

c) COMPTE RENDU QUANTITATIF DES PUBLICATIONS.

Pour éviter le problème des comptes rendus qualitatifs, un certain nombre de chercheurs ont commencé, au milieu des années 90, à faire des comptes rendus quantitatifs. Ces comptes rendus sont des méta-analyses, c’est-à-dire que le chercheur rassemble un certain nombre d'études ayant comparé l'équilibre général de sujets ASE avec celui de sujets témoins, il en extrait les statistiques comparant les deux groupes et les rassemble dans une statistique globale. La moyenne de toutes les valeurs nous renseigne ainsi sur l'association entre l'ASE et l'équilibre de l'individu.

La valeur commune obtenue dans chaque étude des méta-analyses est appelée mesure de l'effet : elle mesure la différence entre les sujets ASE et les sujets témoins en ce qui concerne l'équilibre de leur personnalité. On s’attache notamment à quantifier la différence entre les sujets ASE et les sujets témoins, car la seule affirmation " il y a une différence statistiquement significative " n’est pas suffisante ; la mesure de l’effet permet de distinguer différents degrés dans les différences constatées entre les sujets ASE et les sujets témoins.

Pour des commodités de présentation, nous indiquerons les mesures d'effet de la façon suivante. Imaginons un groupe d'individus dont certains ont vécu un ASE, les autres étant les sujets témoins. On peut penser que dans les deux groupes on trouvera des individus plus ou moins équilibrés. Certains seront très équilibrés, d'autres le seront moyennement, d'autres le seront assez peu et quelques-uns seront fortement déséquilibrés. Si l'ASE a un effet très fort, il doit être responsable d'au moins 50% de la variation d'équilibre entre tous les sujets ; si l'ASE a un effet fort, il doit être responsable d'au moins 25% ; s’il a un effet moyen, il doit être responsable d'environ 10% ; et si l'ASE a un effet réduit, il doit être responsable d'environ 1% de la variation d'équilibre.

Un chercheur du nom de Jumper a pris des échantillons d'étudiants, de citoyens ordinaires et des échantillons cliniques pour sa méta-analyse du rapport entre l'ASE et l'équilibre individuel. Elle a fait la moyenne des mesures d'effet séparément pour chaque type d'échantillon. Après correction, ses résultats ont montré que l'ASE était responsable de 0,8% de la variation d'équilibre dans les échantillons étudiants, 2,25% dans les échantillons de citoyens, 7,3% dans les échantillons cliniques. En d'autres termes, l'ASE avait bien un rapport avec l'équilibre de la personnalité mais il était faible dans les échantillons non cliniques et moyen dans les cliniques. En 1996, un second groupe de chercheurs a publié une autre méta-analyse. Ils ont calculé les mesures d'effet moyenné séparément pour les échantillons cliniques et non cliniques. La variation dont l'ASE était responsable était de 1,4% pour les échantillons non cliniques et de 3,6% pour les cliniques.

Ces deux comptes rendus quantitatifs se révèlent supérieurs aux études qualitatives à bien des égards. D'abord, ils évitent les interprétations subjectives, ils incluent un grand nombre d'échantillons non cliniques, et enfin ils analysent les deux types d'échantillons séparément.

Le schéma d'ensemble est celui-ci. Les échantillons cliniques sont nettement différents des non cliniques. Ceci montre de façon empirique qu'il est incorrect de généraliser à l'ensemble de la population les conclusions tirées d'une étude clinique de l'ASE. De plus, bien que l'ASE soit lié à un moindre équilibre dans les échantillons non cliniques, l'ampleur du phénomène est faible.

Lorsqu'on prétend que l'ASE produit des blessures psychologiques profondes, graves et durables, on se livre à une grossière exagération.

Il y quelques faiblesses dans ces deux études quantitatives – qui ont d'ailleurs été les seules à paraître jusqu'à il y a environ un an – ce qui nous a conduit par la suite à mener nos propres méta-analyses.

on a examiné très peu d'échantillons masculins (aucun dans la seconde étude) ;

on n'a fait aucune analyse pour montrer si l'association entre l'ASE et l'équilibre de la personnalité provenait de l'ASE lui-même ou pouvait être attribuée à d'autre facteurs comme un milieu familial défavorisé.

aucune étude n'a été réalisée pour montrer l'étendue des effets. Si l'ASE produit un effet, est-ce que celui-ci touche 100% des personnes exposées, 50%, 10% ou un autre pourcentage ?

on n'a pas parlé de la réaction des sujets eux-mêmes à l'expérience sexuelle qu'ils ont vécue. Il est possible que certains n'aient pas réagi de façon négative. Les idées généralement admises n'autorisent pas cette possibilité, mais une étude objective se doit de mener l’enquête, car cette information devrait pouvoir modifier les idées admises à propos d'ASE.

Afin de pallier les défauts de ces deux méta-analyses, nous avons mené les nôtres. Nous l'avons fait pour mettre à l'épreuve l'idée admise qu'au sein de la population dans son ensemble, l'ASE cause des dommages profonds, très répandus, et qu'il se révèle être aussi négatif pour les filles que pour les garçons. Puisque nous nous intéressions à l'ASE dans l'ensemble de la population, nous avons recueilli des échantillons exclusivement non cliniques. Cette optique se justifie par le fait que les deux méta-analyses étudiées ont montré que l'on ne pouvait pas généraliser les résultats d'études cliniques, comme cela a été aussi vérifié dans d'autres domaines du comportement humain. Pour connaître la nature de l'ASE, pour savoir s’il est dommageable en soi, il faut étudier un échantillon représentant la population dans son ensemble.

ÉCHANTILLONS NATIONAUX.

Depuis une vingtaine d'années, notre société s'est mise à croire que l'ASE a un "effet spécialement destructeur sur la santé mentale de l'adulte". Cela implique que toute personne donnée, homme ou femme, ayant vécu un ASE aura subi des dommages profonds. La meilleure façon de mettre cette affirmation à l'épreuve serait d'examiner la population tout entière : c'est bien sûr impossible. A défaut, on peut prendre un échantillon représentatif de cette population et essayer d'en tirer des conclusions : c'est ce que des chercheurs ont fait dans plusieurs pays. Ils ont obtenu des échantillons de probabilité nationaux, qui sont simplement des échantillons choisis pour être représentatifs de la population d'un pays donné. Les données obtenues concernant la relation entre l'ASE et l'équilibre général de l'individu sont très importantes, car elles rendent mieux compte des cas les plus courants que ne pourraient le faire des données tirées d'études cliniques.

Voici quelques années, nous avons réuni les résultats de toutes les études basées sur des échantillons nationaux qui examinaient le rapport ASE-équilibre individuel. Le Tableau 1 (page suivante) est une liste de ces études avec certaines de leurs caractéristiques. Tout d’abord, nous constatons que quatre études ont été menées aux USA, une au Canada, une en Espagne et une en Grande-Bretagne. Plusieurs études ont été faites par le biais d'interviews, d'autres par téléphone, d'autres utilisaient un questionnaire que les sujets remplissaient pendant que le chercheur attendait à côté, une autre s'est déroulée par courrier. Deux études n'ont examiné que les ASE vécues par les sujets comme indésirables. Les cinq autres études ont examiné à la fois les ASE vécus comme désirables et indésirables. Le taux de réponse a été très élevé. Le pourcentage de sujets ayant vécu un ASE allait de 6 à 36% pour les hommes et de 14 à 51% pour les femmes. La variation importante des pourcentages s'explique par les définitions très variées qu'on donnait de l'ASE. Si l’on met à part les deux études dont la définition de l'ASE semble beaucoup trop large (incluant dans l'ASE des relations sexuelles consenties entre frères et sœurs par exemple), le pourcentage allait de 6 à 15% pour les hommes (moyenne 11%) et de 14 à 28% pour les femmes (moyenne 19%).

Le meilleur chiffre dont nous disposions à l'heure actuelle sur le taux d’occurrence de l'ASE est donc de 11% pour les hommes et de 19% pour les femmes.

Ces études ont donné deux types de résultats fort utiles pour apprécier les idées couramment admises sur l'ASE. Le premier concerne les effets auto-rapportés – c'est-à-dire la vision du sujet lui-même sur la façon (négative, neutre ou positive) dont l'expérience sexuelle l'a affecté. Le second consiste en des mesures objectives de l'équilibre psychologique et sexuel.

 

TABLEAU 1
Données relatives à sept études concernant les conséquences psychologiques de l’abus sexuel sur enfant (ASE) à partir d’échantillons nationaux

 

Etude

Sujets de l’étude

Type

Définition de l’ASE

Taille de l’échantillon

Occurrence de l’ASE

Taux de réponse

       

H

F

H

F

 

Badgley et al.

(1984)

Canada

âge: 18 +

QRS

Toute relation

non désirée; C, NC

1002

1006

31%

53%

94%

Baker & Duncan (1985)

GB

âge: 15 +

FAF

<16 ; (sexuellement mature) ; C, NC

834

923

9%

14%

87%

Bigler

(1985)

USA

âge 30-55

LET

<18; (5+, en famille ou violent) ; C, NC

140

174

36%

51%

33%

Boney-McCoy Finkelhor (95)

USA

âge 10-16

TEL

Tout contact sexuel non désiré ; C, NC

987

911

6%

15%

72%

Finkelhor et al

(1989)

USA

âge 18 +

TEL

<19 ; tout acte vu comme AS ; C, NC

1142

1476

15%

28%

76%

Laumann et al

(1994)

USA

âge 18-59

FAF

avant puberté ; (après puberté) ; C

1311

1608

12%

17%

79%

Lopez et al

Espagne

âge 18-60

FAF

QRS

<17 ; (5+, ou violent) ; C, NC

462

433

15%

22%

82%

Comme le montre le haut du tableau 2, l'expérience a été dommageable d'une façon ou d'une autre pour 37% des hommes, c’est-à-dire qu'elle ne l'a pas été pour 63% ; les pourcentages sont inversés pour les femmes puisque l'expérience s'est révélée plus ou moins dommageable pour 64% d'entre elles. Là encore nous constatons une différence liée au sexe. Dans la dernière étude, Laumann a interrogé les sujets sur les expériences qu'ils avaient pu avoir avant la puberté ; 45% des hommes ont parlé de certains effets négatifs, pourcentage qui s'élève à 70% pour les femmes: encore une fois, on constate une nette différence entre les sexes.

 

TABLEAU 2
Pourcentage de conséquences psychologiques négatives déclarées après abus sexuel sur enfant (ASE) ; USA

 

Etude

Occurrence temporelle étudiée

Hommes

Femmes

   

%

N

%

N

Badgley et al (1984)

au moment des faits

7

307

24

538

Baker & Duncan (1985)

au moment des faits et depuis les faits

37

79

64

119

Laumann et al (1994)

au moment des faits et depuis les faits

45

134

70

273

 

 

Etude

Questions posées

Hommes (N=79)

Femmes (N=119)

Baker & Duncan

(1985)

Dommage permanent

4%

13%

 

Néfaste sur le moment, mais pas d’effet à long terme

33%

51%

 

Pas d’effet

57%

34%

 

Amélioration de la qualité de vie

6%

2%

 

Ensuite, nous avons examiné le rapport entre ASE et équilibre psychologique et sexuel en comparant des sujets ASE avec des sujets témoins. Comme le montre le tableau 3, cinq études ont fourni des données exploitables. A nouveau, les mesures d'effets indiquent le pourcentage de variation d'équilibre parmi tous les sujets imputable à l'ASE. Pour les hommes, on trouve de 0,16 à 1,44% (moyenne 0,49%) et pour les femmes, de 0,25 à 4% (moyenne 1%). Ces résultats montrent plusieurs choses. Tout d'abord, les hommes et les femmes ayant vécu un ASE ont un moins bon équilibre que les sujets témoins. Ensuite, bien qu’elles soient statistiquement significatives, ces différences sont faibles. Pour les hommes par exemple, 99,51% de la variation constatée dans les tests d'équilibre peut être expliquée par d'autres facteurs que l'ASE. Ce résultat montre qu'en général, contrairement aux idées reçues, l'ASE n'affecte pas de façon majeure le bien-être psychologique et sexuel des personnes qui l'ont vécu.

Cette méta-analyse nous permet de mieux comprendre les cas typiques d'ASE, bien plus que n'ont pu le faire les analyses cliniques. Ses résultats contredisent l'idée selon laquelle les dommages seraient largement répandus, durables et profonds. Les mesures d'effets sont faibles ; il aurait fallu qu'elles soient importantes (voire moyennes) pour que l'on puisse conclure à des dommages profonds. En outre, les garçons ont réagi de façon beaucoup moins négative que les filles, ce qui contredit l'hypothèse selon laquelle garçons et filles réagiraient de façon également négative.

Il nous faut examiner avec soin une dernière hypothèse : les différences d'équilibre (faibles mais statistiquement significatives) constatées chez les sujets ASE par rapport aux sujets témoins sont-elles imputables à l'ASE ? Avant d’aborder ce point important, il nous faut dire deux mots de méthodologie.

Aux USA, les Blancs ont en moyenne un QI de 15 points supérieur aux noirs. Allez-vous en conclure que cette différence est due à la race ? En ce cas vous pourriez, à juste raison, être accusé de racisme. Blancs et Noirs sont différents non seulement par leur race, mais aussi par leur statut socio-économique et par bien d'autres choses encore. La différence de QI peut s’expliquer par l’influence du milieu défavorisé plutôt que par la race. Le milieu familial a un impact certain sur le développement intellectuel et peut jouer le rôle de troisième variable qui explique totalement l'association des deux variables principales, la race et le QI.

Une différence de QI de 15 points peut se traduire de la façon suivante : la race intervient pour 34% dans la variation de réussite aux tests de QI entre blancs et noirs. Dans nos échantillons nationaux, l'ASE était responsable de 1% de variation de l'équilibre général pour les femmes et de seulement 0,5% pour les hommes : en comparaison, la race a un effet de 34 à 68 fois plus important sur la variation des QI ! En conséquence, si nous pouvons prétendre que la différence de QI vient non pas de la race mais d'un milieu familial moins favorisé, nous pouvons certainement prétendre la même chose pour l'ASE et affirmer que les petites différences d'équilibre que l'on a remarquées peuvent provenir de différences dans le milieu familial.

Les enfants de familles à problèmes sont moins surveillés, plus susceptibles et plus enclins à adopter des attitudes hors-normes telles que l'usage de drogues, l'absentéisme scolaire, une sexualité taboue (avec des adultes par exemple). Dans cette optique, un milieu familial défavorisé les prédispose non seulement à l'ASE mais aussi à un moins bon équilibre général.

Ce scénario suggère que le degré de causalité entre l'ASE et l'équilibre puisse être beaucoup plus faible, voire inexistant.

Finkelhor et ses collègues ont participé à deux des études nationales, en utilisant une analyse statistique pour trouver d'autres variables qui auraient pu expliquer le rapport ASE-équilibre. Dans les deux études, le rapport a gardé une valeur statistiquement significative : ils en ont conclu que l'ASE entraînait un moins bon équilibre général. On pourra critiquer la méthode de Finkelhor, qui n'a pas pris en compte des variables qui, d'autres chercheurs l’ont montré, peuvent expliquer le rapport ASE-équilibre général. Parmi ces variables figurent la violence physique et les carences affectives, que l'on a tendance à confondre avec l'ASE quand elles lui sont associées. Le chercheur Wisnievski, par exemple, a étudié l'ASE dans 32 échantillons d'étudiants choisis être représentatifs de l'ensemble des étudiants américains. Quand elle a fait un calcul statistique en prenant pour variables des abus non sexuels, elle s'est aperçu que le rapport ASE-équilibre général avait disparu. Elle en a conclu que " les informations obtenues ne permettent pas d'expliquer les problèmes émotionnels par l'abus sexuel " et ajoute que " Les résultats semblent démontrer que ce sont d'autres facteurs, comme la violence familiale, qui ont le plus grand impact sur l'équilibre émotionnel ". Nous reviendrons à ce sujet de la causalité et du contrôle statistique en examinant les résultats de notre deuxième méta-analyse.

ÉCHANTILLONS ÉTUDIANTS.

Les échantillons nationaux nous ont aidé à étudier les idées généralement admises sur l'ASE. Mais ces études ont l'inconvénient d'être fort peu nombreuses, elles apportent peu d'information sur les réactions des intéressés et nous donnent trop peu de renseignements pour juger l'hypothèse d'un lien de cause à effet ASE-dommages.

Nous avons donc effectué un autre méta-analyse basé sur un autre ensemble d'échantillons non cliniques : des échantillons étudiants. Nous avons choisi ces échantillons pour plusieurs raisons. D'abord parce qu'ils représentent le plus large échantillon du même type dont on puisse disposer. Bien que les gens qui sont passés par l'université soient différents de ceux qui n'y sont pas allés, nous avons estimé que des échantillons étudiants pourraient nous aider à répondre à des questions sur la population en général : quelle est la réaction type d'une personne exposée à l'ASE ? En effet, aux USA, 50% de la population adulte est passé par l'université à un moment ou à un autre.

Les échantillons étudiants présentent un autre intérêt : les études ont été menées par des chercheurs universitaires qui ont conçu leurs études en prenant en compte des facteurs liés au milieu familial. Ces renseignements, que les études cliniques ou nationales ne fournissent pas toujours, nous permettent d'étudier les effets négatifs censément produits par l'ASE. De plus, ces études nous ont fourni des données de premier ordre pour étudier les hypothèses formulées à propos de l'ASE telles que l'étendue et la profondeur des effets et l'équivalence des réactions quel que soit le sexe.

Au total, nous disposions de 59 études pour examiner les rapports ASE-équilibre, les réactions, et les effets évalués par le sujet lui-même. Pour étudier le rapport entre ASE et équilibre, nous avons utilisé 54 échantillons : 14 échantillons (3254 sujets masculins) et 40 échantillons (12570 sujets féminins). Les réactions et les effets auto-rapportés ont été étudiés sur 13 échantillons (783 sujets masculins) et 14 échantillons (2353 sujets féminins).

La définition de l'ASE était différente selon les études. Pour 20% des études, il s'agissait d'expériences indésirables. Les 80% restantes comprenaient toutes les expériences d'ASE (à la fois indésirables et désirables) et définissaient l'ASE ainsi : une différence d'âge d'au moins 5 ans entre les partenaires, le plus jeune ayant moins de 16 ou 17 ans. Le taux d’occurrence de l'ASE suivant ces différentes définitions était le suivant : pour les hommes, sur la base de 26 échantillons comprenant 13704 sujets, il était de 14%; pour les femmes, sur la base de 45 échantillons comprenant 21999 sujets, il était de 27%.

Certains chercheurs ont avancé l'idée que les échantillons étudiants n'apportaient pas d'information sur les formes les plus graves d'ASE, car les étudiants vivent des formes d'ASE moins graves que la population en général. En revenant aux échantillons nationaux dont nous avons extrait les données pertinentes, puis en examinant les échantillons étudiants et en comparant les valeurs respectives des uns et des autres, nous avons pu tester cette hypothèse.

Le tableau 4 présente les résultats obtenus. On a prétendu que l'ordre de gravité croissant était le suivant : ASE sans contact (exhibitionnisme), attouchements, rapport oral, rapport complet. Sur le tableau on voit bien que les sujets étudiants ont eu autant de rapports complets que les sujets nationaux – beaucoup plus même pour les garçons. On a souvent estimé qu'un lien familial existant entre le plus jeune et le plus âgé était un signe de gravité, l'inceste étant considéré comme le contact le plus grave. Le tableau 5 montre que les sujets étudiants ont vécu autant d'incestes que le reste de la population.

On considère aussi généralement que la fréquence des rapports qualifiés d'ASE est un signe de gravité : on estime que des rapports multiples sont plus graves que des rapports uniques. Dans les deux échantillons, nationaux et étudiants, à peu près la moitié de ceux qui ont vécu un ASE ont connu des rapports multiples. Nous tirons de ces comparaisons les conclusions suivantes : puisque les échantillons nationaux et étudiants ont pratiquement les mêmes caractéristiques, il nous paraît justifié d'utiliser des échantillons étudiants pour répondre à des questions concernant l'ASE dans l'ensemble de la population.

TABLEAU 4
Occurrence estimée de quatre types d’abus sexuel sur enfant (ASE) ; USA

 

Echantillon

k

N

Exhibitionnisme

Caresses

Fellation

Rapport complet 1

Université

garçons

13

2172

32%

39%

3%

13%

 

filles

9

506

22%

51%

14%

33%

 

ensemble 2

26

2918

28%

42%

6%

17%

National 3

hommes

3

590

38%

67%

9%

16%

 

femmes

3

366

25%

69%

22%

13%

 

ensemble

6

956

33%

68%

14%

15%

Note : k représente le nombre d’échantillons , N le nombre de sujets dans les k échantillons.

TABLEAU 5
Occurrence estimée d’abus sexuel sur enfant (ASE) en fonction du statut familial de l’abuseur ; USA

 

 

Famille au sens large

Famille proche

 

Université 4

National 5

Université6

National

 

N

%

N

%

N

%

N

%

filles

2735

37

606

34

792

20

606

15

garçons

580

23

375

13

270

8

375

4

ensemble

3569

35

981

26

1275

16

981

11

Note : La famille proche inclut les parents biologiques ou les beaux-parents, les grands-parents et les frères ou sœurs plus âgés. La famille au sens large inclut la famille proche et les autres membres de la famille. Les taux d’occurrence estimés sont pondérés à partir d’échantillons individuels. Les estimations en université proviennent d’études publiées dans cette revue ; les estimations au niveau national proviennent de trois études (Baker & Duncan, 1985 ; Laumann et al, 1994 ; Lopez et al, 1995).

1.      Dans quelques études étudiantes et nationales, cette rubrique correspond tant aux actes tentés qu’accomplis.

2.      Ces données incluent deux autres études, l’une sur les garçons et l’autre sur les filles.

3.      Pour l’exhibitionnisme: données de Lopez et al. uniquement (femmes: k=1, N=203 ; hommes : k=1, N=134); pour l’onanisme: données de Laumann et al. et Lopez et al. (femmes: k=2, N=476 ; hommes: k=2, N=291).

4.      Basée sur 21, 9 et 33 cas (respectivement: filles, garçons, ensemble).

5.      Basée sur 3, 3 et 6 cas (respectivement: filles, garçons, ensemble).

6.      Basée sur 6, 10 et 19 cas (respectivement: filles, garçons, ensemble).

Nous avons ensuite étudié la relation entre l'ASE et l'équilibre général, en faisant un méta-analyse des résultats de 54 échantillons qui nous ont fourni des statistiques exploitables. Pour 15912 sujets, la variation moyenne d'équilibre provoqué par l'ASE était de 0,81% : dans 99,19% des cas l'ASE ne joue aucun rôle dans la variation d'équilibre. Cependant cette petite différence conserve une signification statistique, les sujets-ASE ayant un équilibre un peu moins bon. Nous avons ensuite fait un méta-analyse du rapport ASE-équilibre en séparant les garçons des filles. Comme le montre le tableau 6, l'ASE explique 0,49% de la variation d'équilibre chez les garçons et 1% chez les filles : exactement les mêmes valeurs que dans les échantillons nationaux. Il faut faire remarquer que les échantillons nationaux et étudiants se ressemblent sur de nombreux points : taux d'incidence de l'ASE, types d'ASE, importance de la relation ASE-équilibre. Ceci indique que les données étudiantes sont nettement plus précieuses que les données cliniques pour comprendre la nature de l'ASE au sein de la population dans son ensemble.

TABLEAU 6
Méta-analyse des rapports ASE-équilibre (étudiants)

 

 

k

N

variance

garçons

14

2947

0,49%

filles

33

11631

1,00%

Note : La variance (donnée en %) exprime la variation d’équilibre imputable à l’ASE.

Du fait qu'une minorité notable des études ne prenait en compte que les expériences indésirables pour définir l'ASE, nous avons aussi étudié le rapport ASE-équilibre en fonction du degré de participation de la personne la plus jeune, séparément pour les garçons et les filles. Le tableau 7 montre que, pour les garçons et en prenant les échantillons comprenant tous les types d'ASE (sexe indésirable et sexe désirable), l'ASE n'explique que 0,16% de la variation d'équilibre : ce résultat n'a pas de valeur statistique. Quand on n'examine que les échantillons où le sexe est indésirable, l'ASE intervient pour 1,69% dans la variation d'équilibre, ce qui a une valeur statistique. Cette valeur est de 10 fois supérieure à celle trouvée précédemment (pour le sexe désirable et indésirable).

TABLEAU 7
Méta-analyse des rapports ASE-équilibre en milieu étudiant, en fonction du consentement

 

 

k

N

variance

garçons

tous types de relations sexuelles1

10

1957

0,16%

 

relations non désirées uniquement

4

990

1,69%

filles

tous types de relations sexuelles1

25

9363

0,64%

 

relations non désirées uniquement

8

2268

1,21%

Note : k représente le nombre d’échantillons, N le nombre de sujets dans les k échantillons. La variance (donnée en %) exprime la variation d’équilibre imputable à l’ASE.
1. Comprend à la fois les relations sexuelles désirées et non désirées.

 

Ces résultats montrent que des garçons qui se livrent à l'ASE de leur plein gré ne souffrent pas d'un moins bon équilibre. Pour les filles en revanche, l'ASE influe sur l'équilibre général, que l'on prenne en considération le sexe désirable et indésirable ensemble ou le sexe indésirable seulement.

Dans le premier cas l'ASE explique 1,21% de la variation d'équilibre, et dans le second 0,64%. Ces découvertes nous montrent que l'effet est différent selon le sexe : quand on étudie les effets de l'ASE, il faut obligatoirement différencier les garçons consentants et les filles.

Nous voyons donc qu'au moins pour les garçons l'ASE n'a pas de conséquences inévitables mais que tout dépend du contexte dans lequel il survient. Afin d'examiner le contexte d'un peu plus près, nous avons étudié chez les sujets qui avaient vécu un ASE les facteurs qui pourraient avoir provoqué certaines réactions ou certains symptômes. Les facteurs contextuels étudiés sont la fréquence des actes d'ASE, leur durée dans le temps, l 'usage de la force, la pénétration et l'inceste. Le tableau 8 montre le résultat de nos analyses. Contrairement à ce qu'on croit généralement, la fréquence des actes, la longue durée des relations et la pénétration n'entraînent pas de réactions plus négatives ou davantage de symptômes. En revanche, l'usage de la force et les relations incestueuses ont entraîné des réactions plus négatives et davantage de symptômes.

 

TABLEAU 8

Méta-analyse des relations entre les caractères de l’ASE et leurs conséquences pour le sujet

 

Caractère de l’ASE

Conséquences

k

N

variance

Durée

Réactions et effets

4

473

(0,09%)

 

Symptômes

2

82

0,41%

Contrainte

Réactions et effets

7

694

12,25% *

 

Symptômes

4

295

1,21%

Fréquence

Réactions et effets

3

328

(0,04%)

 

Symptômes

3

174

0,64%

Inceste

Réactions et effets

4

394

1,69% *

 

Symptômes

9

572

0,81% *

Pénétration

Réactions et effets

2

253

(0,09%)

 

Symptômes

7

594

0,25%

Note : k représente le nombre d’échantillons, et N le nombre de sujets dans les k échantillons ayant eu une expérience ASE. La variance (donnée en %) exprime la variation des conséquences (réactions, effets et symptômes) induite par le caractère de l’ASE.

Les valeurs entre parenthèses indiquent que le caractère de l’ASE est corrélé à des conséquences moins négatives. * : indique un résultat statistiquement significatif.

L'image de l'ASE véhiculée par les médias est celle-ci : un enfant fragile et sans défense en état de choc absolu, dont l'existence a été dévastée par un adulte. Nous avons présenté des éléments pertinents nous permettant d'évaluer la validité de cette image. Le tableau 9 nous présente les résultats de 10 échantillons féminins et 12 échantillons masculins. Il s'agit de savoir comment, à l'époque, les sujets ont réagi à l'expérience d'ASE. Pour les filles : 11% des expériences d'ASE ont été positives, 18% neutres et 72% négatives. Pour les garçons : 37% des expériences ont été positives, 29% neutres et 33% négatives.

Les résultats pour les garçons contredisent fortement l'image populaire dont nous avons parlé : la majorité des garçons n'a pas réagi de façon négative. Pour les filles, c'est l'inverse, ce qui montre une différence de réaction frappante liée au sexe. Cela nous prouve à nouveau que l'hypothèse d'une réaction similaire pour les deux sexes est erronée.

Pour ce qui est des réactions négatives, il est important de noter que celles-ci peuvent aller d'une légère sensation de gêne jusqu'au choc traumatique. Le pourcentage de garçons et de filles qui réagiraient conformément à l'image populaire ne représente donc qu'une fraction du chiffre des réactions négatives observées.

Bien que cela soit difficile à chiffrer, il est probable qu'un choc traumatique entraîne pour le sujet des effets négatifs de nature durable. Pour traiter cette question, nous avons étudié dans les échantillons étudiants les effets perçus par les sujets eux-mêmes. Le tableau 10 présente le résultat de ces études. Les effets négatifs durables perçus par le sujet lui-même sont rares chez les garçons.

Dans l'étude de Condy, seuls 16% des sujets mâles avaient l'impression que l'expérience d'ASE avait eu une influence négative sur leur vie sexuelle. Dans l'étude de Fishman ils étaient 13%, dans celle de Fritz 10%, dans celle de Landy 0,4% et dans celle de West et Woodhouse seuls un ou deux sujets sur 67 avaient ressenti un impact négatif sur leur vie sexuelle. Pour ce qui est des autres effets durables, dans l'étude de Landis, aucun sujet mâle n'a estimé que son développement affectif avait été affecté de façon permanente. Dans l'étude de Fishman, un quart des sujets mâles ont ressenti une forme ou une autre d'effet négatif sur leur vie en général.

TABLEAU 9
Souvenir rétrospectif de la réaction immédiate d’étudiants confrontés à un ASE

Etude

Femmes

Hommes

 

positif

neutre

négatif

N

positif

neutre

négatif

N

Brubaker (1991)

22%

18%

60%

50

-

-

-

-

Brubaker (1994)

10%

17%

73%

99

-

-

-

-

Condy et al (1987)

-

-

-

-

58%

14%

28

50

Finkelhor (1979)

7%

27%

66%

119*

nd 2

nd

38%

23

Fischer (1991)

5%

nd

nd

39

28%

nd

nd

18

Fishman (1991)

-

-

-

-

27

43

30

30*

Fromuth (1984)

28%

12%

60%

130*

-

-

-

-

Fromuth & Burkhart (1989)

-

-

-

-

60%

28%

12%

81

Goldman & Goldman (1988)

17%

16%

68%

188*

39%

32%

30%

40*

Landis (1956)

2%

16%

86%

493*

8%

39%

54%

183*

Long & Jackson (1993)

4%

28%1

69%

137

-

-

-

-

O’Neill (1991)

10%

6%

84%

83*

43%

9%

48%

46*

Schultz & Jones (1983)

28%

19%

52%

122*

69%

24%

7%

67*

Urquiza (1989)

-

-

-

-

39%

27%

33%

51

West & Woodhouse (1993)

-

-

-

-

45%

29%

26%

58

Total

11%

18%

72%

1421

37%

29%

33%

606

1. Y compris réactions mixtes.
2.  nd : non disponible.
*  Indique le nombre d’expériences ASE ; sinon, N indique le nombre de sujets.

 

Les filles se distinguent des garçons par un taux plus élevé d'effets négatifs perçus. Pour ce qui est des effets négatifs durables sur la vie sexuelle, le pourcentage est de 24% dans l'étude de Fritz et 2.2% dans celle de Landis. Pour ce qui est des effets négatifs durables d'une nature plus générale, dans l'étude de Hrabrowy 20% des sujets ressentaient encore une certaine gêne à ce propos et 5% une gêne très importante. Dans l'étude de Landis, 3% des sujets disaient ne pas s'en être encore remis. Dans l'étude de Nash et West 22% disaient ressentir encore des effets négatifs. Les données montrent que cette expérience a causé des dommages sérieux chez certains sujets. Mais il s'agit d'une minorité. Ces données indiquent que l'ASE peut être potentiellement dommageable mais que l'ASE n'entraîne pas inévitablement des dommages. Nos analyses suggèrent que c'est le contexte (usage de la force, manque de consentement du ou de la jeune partenaire, relation incestueuse) qui se combine avec l'ASE pour donner un résultat dommageable.

TABLEAU 10
Effets rapportés par des étudiants confrontés à une ASE

Étude

Sexe

N

Champs de l’étude

Conséquence de l’ASE

Condy et al (1987)

m

51

Effets sur la vie sexuelle adulte

bon : 37% - aucun : 28%

mitigé : 9% - mauvais : 16%

Fischer

(1991)

m

24

Stress, à l’époque ou maintenant

aucun stress : 21%

stress moyen : 2,12 sur une échelle de 1 à 10.

Fritz et al (1981)

m

20

Vie sexuelle courante

problèmes : 10%

Fishman

(1991)

m

30

Vie, en général

positif : 17% ; neutre : 57% ; négatif : 27%

     

Vie sexuelle courante

positif : 24% ; neutre : 63% ; négatif : 13%

Landis

(1956)

m

215

Temps nécessaire pour se stabiliser

pas de choc : 68% ; peu ou pas de choc : 10%

qq jours à qq années : 22% ; jamais remis : 0%

     

Développement émotionnel affecté

aucun : 81% ; temporaire : 19% ; jamais remis : 0%

     

Influence sur le comportement sexuel

aucun : 80% ; temporaire : 19% ;

permanent : 0,4%

West & Wood-house (1993)

m

67

Effets durables

" seulement un ou deux " parmi les 67 sujets présentent un effet de nature sexuelle durable

         

Fischer

(1991)

f

54

Stress, à l’époque ou maintenant

aucun stress : 7%

stress moyen : 3,00 sur une échelle de 1 à 10.

Fritz et al (1981)

f

42

Vie sexuelle courante

problèmes : 24%

Hrabowy (1987)

f

107

Problèmes actuels

pas de problèmes, ou minimes : 75%

modérés : 20% ; problèmes importants : 5%

Landis

(1956)

f

5311

Développement émotionnel affecté

aucun : 66% ; temporaire : 30% ; permanent : 3%

     

Influence sur le comportement sexuel

aucun : 70% ; temporaire : 26% ;

permanent : 2,2%

Nash & West (1985)

f

50

Combien durent les conséquences

néant / des semaines : 52% ; des mois : 16% ; plus d’un an : 10% ; durent encore maintenant : 22%

 

MILIEU FAMILIAL.

Les effets négatifs perçus par les sujets, surtout lorsqu'ils sont de nature durable, indiquent que l'ASE peut produire des dommages chez des personnes ayant vécu certains types d'ASE. La question est maintenant de savoir si l'ASE cause des dommages de manière systématique. Nous avons vu précédemment qu'il y avait une corrélation statistique entre l'ASE et un déficit d'équilibre général, mais que l'ordre de grandeur de cette corrélation était faible.

L'un des principes fondamentaux en méthodologie scientifique est que corrélation ne veut pas dire causalité. Constater une corrélation entre race et QI (par exemple), ce n'est pas dire que la différence de QI est due à la race. Il est toujours possible qu'une troisième variable, comme le milieu familial ou le statut socio-économique, puisse expliquer l'association race-QI.

Pour illustrer ce concept, prenons l'exemple simpliste illustré par la figure 1. A mesure qu'on va des petites villes vers les grandes cités, le nombre d'écoles augmente. En outre, des petites villes aux grandes métropoles, le nombre de crimes augmente aussi. Peut-on en déduire qu'en construisant de nouvelles écoles on augmente la criminalité, ou qu'en en démolissant quelques-unes on va faire baisser le crime ? Non, bien sûr, car une troisième variable (la population) est responsable à elle seule des deux phénomènes. A mesure que la population s’accroît, on construit davantage d'écoles et il se produit plus de crimes. Si nous introduisions la population comme troisième variable dans cette étude, la corrélation entre le nombre d'écoles et le nombre de crimes disparaîtrait probablement.

 

FIGURE 1
Corrélation ne signifie par relation de causalité
(influence d’une tierce variable possible).

Nous avons étudié la relation entre l'ASE et les symptômes observés en utilisant cette idée. Dans ce cas, la troisième variable qui est à l'origine des deux est le milieu familial. Une famille à problèmes, la présence de violences physiques ou de carences affectives pourraient prédisposer les enfants ou les adolescents à adopter des attitudes contraires aux normes (comme l'usage de drogues, ou des actes sexuels classés dans la catégorie ASE). Le fait de vivre dans une famille à problèmes peut aussi compromettre leur équilibre. C'est ainsi que le rapport que nous avons trouvé dans nos analyses entre l'ASE et certains symptômes comportementaux pourrait bien être le fait du milieu familial plutôt que d'expériences d'ASE.

Depuis nos précédentes méta-analyses, nous savons que pour les sujets étudiants l'ASE explique 0,81% de la variation d'équilibre. Nous avons mené une série de méta-analyses pour déterminer quel pourcentage de la variation de l'ASE s'expliquait par le milieu familial. Nous avons trouvé 1,69%. Nous avons ensuite mené une série de méta-analyses pour déterminer quel pourcentage de la variation d'équilibre s'expliquait par le milieu familial. Nous avons trouvé 8,41%. Ces résultats montrent que le milieu familial est beaucoup plus important pour expliquer la variation d'équilibre que l'ASE : dans un rapport de 1 à 10.

Ces résultats montrent aussi que l'on a confondu l'ASE et l'environnement familial – ceux qui avaient vécu un ASE ayant tendance à venir de familles plus pauvres ou plus désorganisées. Nos recherches suggèrent que le lien ténu mais statistiquement établi entre l'ASE et l'équilibre général pourrait n'avoir aucune valeur de causalité.

Treize des études portant sur les sujets étudiants ont utilisé des techniques statistiques pour chiffrer ou maintenir statistiquement constant le milieu familial en examinant le rapport entre ASE et équilibre (Tableau 11). Les 14 échantillons provenant de ces études ont examiné 83 relations ASE-équilibre. Avant contrôle statistique, 41% de ces relations étaient statistiquement établies.

TABLEAU 11
Contrôle statistique de la corrélation entre l’ASE et les symptômes

Etude

Type de contrôle statistique

N

Corrélations significatives

     

avant

après

réduction

Brubaker (1991)

catégories séparées

1

1

0

100%

Cole (1988)

régression hiérarchique

5

3

0

100%

Collings (1995)

ANCOVA

10

8

6

25%

Fromuth & Burk (1989) 1

régression hiérarchique

13

6

6

0%

Fromuth & Burk (1989) 2

régression hiérarchique

13

0

0

-

Fromuth (1986)

régression hiérarchique

13

4

1

75%

Gidycz et al (1995)

path analysis

3

0

0

-

Greenwald (1994)

régression hiérarchique

1

0

0

-

Harter et al (1988)

path analysis

2

1

0

100%

Higgins & McCabe

régression hiérarchique

2

2

0

100%

Lam (1995)

régression multiple

3

0

0

-

Long (1993)

régression multiple

2

1

0

100%

Pallotta (1992)

ANCOVA

13

6

0

100%

Yama et al (1992)

ANCOVA

2

2

1

50%

TOTAL

 

83

34

14

59%

Note. N indique le nombre de mesures de symptômes dont la relation avec l’ASE a été étudiée (ou tentée de l’être) par les auteurs de l’étude, utilisant une analyse statistique. " Avant " indique le nombre de corrélations significatives avant le contrôle statistique, " après " indique le nombre de corrélations significatives après le contrôle statistique. " Réduction " indique le pourcentage de corrélations significatives qui sont devenues non-significatives après contrôle statistique.

 

Après contrôle statistique, c'est-à-dire après avoir corrigé les effets du milieu familial, seulement 17% était statistiquement établies : ce qui représente une diminution de 59%. Puisque dans chaque étude ASE et équilibre ont tendance à être associés, nous avons calculé la signification statistique de la diminution en pourcentage, en utilisant un résultat global pour chaque étude. Calculé de cette manière, la diminution obtenue dans les résultats statistiquement établis s'élève à 83%. Ces résultats montrent qu'il est fort possible que dans de nombreux cas l'association statistiquement établie entre ASE et équilibre général soit illégitime. En particulier, les résultats de ces recherches s'inscrivent en faux contre l'idée généralement admise qui veut que l'ASE cause fatalement des dommages.

DISCUSSION.

Nos méta-analyses du rapport entre ASE et équilibre, à la fois dans les échantillons nationaux et les échantillons étudiants, montrent que l'ASE est associé de façon statistiquement établie à un moins bon équilibre général, mais l'incidence est faible. Pour les garçons, l'ASE n'explique que 0,5% de la variation d'équilibre, tandis que pour les filles il en explique 1%. Ces petites mesures d'effet sont incompatibles avec l'hypothèse que l'ASE produit des effets ravageurs. L'étude des effets perçus par les sujets eux-mêmes et de leurs réactions contredit l'hypothèse que l'ASE a des effets profonds. Les analyses des effets perçus par le sujet, de même que le rôle joué par le milieu familial dans le rapport ASE-équilibre, démentent l'hypothèse que l'ASE provoque des dommages généralisés. Les données montrent que l'ASE provoque des dommages dans certains cas spécifiques, mais il est évident qu'en général il n'y a aucun dommage. Enfin, on a mis en lumière une différence nette et importante entre garçons et filles dans la façon de réagir à des expériences classées dans la catégorie ASE. Seule une minorité de garçons réagit négativement ou se sent affectée par ces expériences, mais c'est le contraire pour les filles. Dans les échantillons étudiants, les garçons qui participaient de leur plein gré à leurs expériences d'ASE ne subissaient aucun préjudice (ce qui n'était pas le cas pour les filles). Ces résultats montrent à l'évidence que l'hypothèse selon laquelle garçons et filles auraient des réactions équivalentes à l'ASE doit être abandonnée.

En ce qui concerne la façon de réagir différente des garçons et des filles, il est bon de se pencher sur ce que certains auteurs des études portant sur les étudiants ont à dire. Schultz et Jones ont noté que les garçons avaient tendance à voir ces expériences sexuelles comme des aventures, comme une façon de satisfaire leur curiosité, alors que la plupart des filles les percevaient comme une invasion de leur corps ou une faute morale. West et Woodhouse ont observé que les réactions des filles sur le moment ont été "surtout une peur, un sentiment désagréable de perplexité et de gêne... (alors que les hommes)... se souvenaient de leur réaction avait été principalement soit une indifférence, teintée peut-être d'une légère anxiété, soit un réel plaisir, cette dernière réaction étant particulièrement évidente quand il s'agissait d'un contact avec le sexe opposé.

Cette différence liée au sexe face à des expériences d'ASE, on la retrouve pour d’autres expériences liées à la sexualité des jeunes. Par exemple, les garçons et les filles ont des réactions très différentes lors de leur premier rapport sexuel. Les filles, en général, font part de réactions négatives, disent qu'elles ont eu peur, se sont senties coupables ou exploitées alors que les garçons, majoritairement, font part de réactions positives comme l'excitation, le bonheur, la joie de se sentir mûr. Il est important d'ajouter que les garçons et les filles réagissent différemment face à l'ASE parce qu'ils ont tendance à vivre des types d'ASE différents. Dans leur enquête nationale en Grande-Bretagne, Baker et Duncan ont pensé que les filles ont pu être affectées davantage par leurs expériences d'ASE du fait qu'elles étaient plus souvent de nature incestueuse et vécue à un âge plus précoce. Les étudiants et les étudiantes avaient aussi vécu des expériences d'ASE différentes, les filles ayant connu l'inceste plus de deux fois plus souvent que les garçons, et l'usage de la force environ deux fois plus souvent.

Quelques nouveaux commentaires sur la causalité s'imposent. Le fait que le milieu familial soit dix fois plus important que l'ASE pour expliquer l'équilibre général dans la population étudiante confirme les résultats de plusieurs études récentes utilisant des sujets non-étudiants. Dans une étude menée par Eckenrode et ses collègues publiée en 1993, les chercheurs ont rangé les enfants et ados, issus d'un échantillon communautaire vaste et représentatif pris dans une petite ville de l'état de New-York, en six catégories : non abusés, ASE, violence physique, carences affectives, ASE et carences, violence physique et carences. Ils ont établi que les enfants et ados ASE réussissaient aussi bien à l'école que les sujets non abusés dans tous les domaines mesurés (résultats aux tests standards, réussite scolaire, et comportement). Les carences affectives et la violence physique en revanche étaient associées à une moins bonne réussite et à davantage de problèmes de comportement.

Dans une autre étude essentiellement clinique menée par Ney et ses collègues et publiée en 1994, les chercheurs ont divisé leur échantillon d'enfants et d'ados en différant catégories : ASE, violence physique, violence verbale, carences affectives, et combinaison de plusieurs facteurs. Ils ont découvert que la combinaison d'abus qui était liée le plus étroitement à des problèmes d'équilibre général était la violence physique, les carences affectives et la violence verbale. Dans les dix combinaisons les plus néfastes, la violence verbale a été citée 7 fois, le manque de soins 6 fois, la violence physique et les carences affectives 5 fois chacune alors que l'ASE n'était citée qu'une seule fois.

Ces résultats sont compatibles avec les conclusions de Wiesniewsky dont nous avons déjà parlé. Elle a étudié 32 échantillons d'étudiants, dans tous les USA, choisis être représentatifs de la population étudiante américaine. Elle a conclu que lorsqu'on prend en considération les autres formes d'abus, l'ASE n'est pas lié aux problèmes d'équilibre général. Elle a noté en revanche que les mauvais traitements, tels que la violence physique, ont un impact direct sur l'équilibre général.

Aux USA en 1974, le Congrès a voté le "Child Abuse Prevention and Treatment Act". Il s'agissait au départ de lutter contre des problèmes de violences physiques et de carences affectives. Cette initiative a déclenché ce qui est devenu, selon l'expression de certains l'industrie de l'abus sexuel qui continue à prospérer et a gagné d'autres pays dans le monde. En quelques années, en effet, la loi a fini par sanctionner essentiellement les problèmes d'ASE. Il y a plusieurs raisons à cela. En premier lieu, le mouvement des femmes en Amérique avait, dès le début des années 70, commencé à soulever le problème du viol et de l'inceste. L'autre raison étant que le sexe interdit est un sujet dont la charge émotionnelle est forte, beaucoup plus forte que celle liée à la violence physique ou aux carences affectives. C'est pourquoi les médias et les milieux politiques lui ont accordé une place plus grande, ce qui a permis d'obtenir davantage de fonds publics et privés et une attention beaucoup plus suivie de la part des professionnels de la protection de l'enfant.

Les résultats de nos recherches, comme ceux des autres citées précédemment, montrent que ce changement de cap majeur, qui nous a éloigné des abus physiques et émotionnels pour mettre l'ASE au premier plan, n'est sans doute pas justifié.

 

L'ABUS SEXUEL SUR ENFANT :

UNE CONSTRUCTION REMISE EN CAUSE.

 

Au début de notre présentation, nous avons abordé le problème en utilisant le terme abus sexuel sur enfant. Il serait bon maintenant de revenir sur le sujet, à la lumière des résultats empiriques dont nous venons de faire état. Ces résultats suggèrent avec force qu'il est erroné de mettre la même étiquette "abus sexuel sur enfant" sur deux choses aussi différentes que le viol répété d'une jeune enfant dans un contexte incestueux et une relation sexuelle consentie entre un adolescent mature et un adulte non apparenté. C'est erroné car le mot abus implique que quelqu'un a subi des dommages.

Les données empiriques que nous avons présentées, basées sur des échantillons représentatifs, indiquent que seul le premier de ces deux scénarios est susceptible de provoquer des dommages. Le second n'est un abus qu'en ce qu'il viole les règles sociales contemporaines.

Le problème de l'usage du terme abus sexuel sur enfant dans le second cas, que ce soit par les médias, le législateur ou les professionnels de la santé mentale, c’est qu’il implique la notion de dommage causé à l'individu, alors qu'il s'agit d'une violation des règles sociales. Ce qui, en retour, vient abusivement renforcer l'idée que l'adolescent a vraiment subi des dommages physiques ou émotionnels. L'adolescent est alors considéré comme une victime et traité comme tel. Et c'est cela qui peut amener la prophétie à se réaliser et faire de lui la victime qu'il est censé être.

L'étiquette que l'on met sur un comportement a des effets avérés bien établis en psychologie et en sociologie. L'histoire des comportements sexuels nous en fournit de nombreux exemples. La masturbation portait l'étiquette "abus sur soi-même" depuis que le médecin suisse Tissot avait au 18ème siècle fait de ce problème moral un problème médical. Depuis le milieu du 18ème jusqu'au début du 20ème siècle, la plupart des médecins croyaient que la masturbation causait une foule de maladies qui allaient de l'acné à la mort. Au début du 19ème en Amérique, on croyait que la masturbation avait un effet extrêmement destructeur, à tel point que des inventeurs ont fabriqué des cages à serrures où l’on enfermait les mains des enfants pour les empêcher de se toucher; on pratiquait la circoncision des garçons à grande échelle pour qu'ils n'aient pas à se laver sous le prépuce (ce qui aurait pu les amener à s'abuser eux-mêmes); des médecins comme J. H. Kellog ont inventé des produits comme les Kellog's Cornflakes pour empêcher les garçons de se livrer à des abus sur eux-mêmes.

Nombre de gens étaient rongés par la culpabilité après s'y être livrés. Ils étaient mortifiés à l'idée d'attraper une maladie ou une tare du fait de leur acte. Par exemple, le fameux chercheur Havelok évoque le cas d'une femme mariée, tout à fait respectable et membre d'un mouvement de pureté sociale. En lisant un opuscule sur la masturbation, elle s'est rendu compte qu'elle s'était, sans le savoir, adonné à cette pratique. Comme le notait Ellis : "On a peine à décrire la profonde angoisse, le désespoir absolu de cette femme face à ce qu'elle croyait être la ruine morale de sa vie entière".

Le sexologue Alfred Kinsey se plaignait, il y a un demi siècle, que les classifications scientifiques en matière de comportement sexuel étaient basées sur la théologie et non sur la biologie. En 1952, dans la première édition par l'Association Américaine de Psychiatrie du Manuel statistique et diagnostique des troubles mentaux (DSM), des comportements sexuels comme la masturbation, l'homosexualité, la fellation, le cunnilingus et le nomadisme sexuel étaient considérés comme pathologiques, comme des formes de maladie mentale. D'innombrables homosexuels ont souffert de l'étiquette "perversion" que la profession médicale et le public en général collaient sur leurs désirs. En fait, l'histoire des comportements sexuels montre qu'on a généralement étiqueté les attitudes en fonction de la morale et non de la science, même si ce sont des scientifiques et non des profanes qui utilisent ces étiquettes : leur usage peut avoir des conséquences graves.

Pour la science, abus signifie qu'un certain comportement peut entraîner des dommages. Les résultats obtenus pour les étudiants ayant vécu une expérience qualifiée d'ASE mettent en relief les doutes qui planent sur la pertinence de la construction abus sexuel sur enfant tel qu'il est défini et sur son utilisation dans les publications professionnelles. 37% de ces sujets ont considéré, sur le moment, que cette expérience avait été positive. Dans les deux études chargées d'évaluer les effets perçus par le sujet lui-même, de 24 à 37% d'entre eux ont estimé que leurs expériences d'ASE avaient eu un effet bénéfique sur leur vie sexuelle actuelle note 5. Il est important de noter que les garçons qui avaient participé de leur plein gré à leurs épisodes d'ASE avaient le même équilibre psychologique que les sujets témoins. L'existence de réactions et d'effets positifs, de même que l'équilibre normal des participants volontaires, montrent qu'il n'est pas scientifiquement acceptable de placer ces garçons dans la catégorie des personnes abusées. Aucun dommage n'a résulté de leur expérience et il n'y a aucune raison scientifique de penser qu'il y en aura un jour. Par ailleurs, une minorité de garçons a fait part de réactions et d'effets négatifs; qui plus est, des expériences d'ASE indésirables ont pu être associées à des problèmes d'équilibre général. Pour ces étudiants, le terme abus parait beaucoup plus justifié.

Certains chercheurs, après avoir évalué leurs résultats, ont remis en question leur définition de départ de l'abus sexuel. Fishman, par exemple, définissait l'abus sexuel pour les garçons principalement en fonction de la différence d'âge (c'est à dire des rapports entre un garçon de 12 ans ou moins et un aîné d’au moins 5 ans de plus, ou entre un garçon de 13 à 16 ans et un aîné d’au moins 10 ans de plus). Il estimait que la différence d'âge impliquait de telles inégalités en termes de maturité et de connaissances qu'il ne pouvait y avoir que brimade de la part du plus âgé. Il a trouvé que les garçons de son étude ayant vécu des expériences d'ASE ne se distinguaient pas des sujets témoins dans les mesures d'équilibre, et qu'ils faisaient part de réactions très diverses à leurs expériences d'ASE (en général positives ou neutres). Des interviews en profondeur ont permis à Fishman de confirmer et quantifier ces observations : il a dû revoir ses hypothèses de départ. Il a conclu que les histoires racontées par les sujets de son étude avaient changé ses convictions sur l'impact d'expériences sexuelles inappropriées sur les enfants, en ajoutant que "définir de façon rigide l'expérience de quelqu'un ne modifie en rien les réalités de cette expérience pour la personne en question".

Fishman concluait en plaidant pour que l'on utilise des termes plus neutres que ceux d'abus, de victime, d'agression – enfin pour qu'on conceptualise les relations sexuelles précoces à l'aide de données empiriques et phénoménologiques plutôt qu'en se servant de critères légaux ou moraux.

La discussion en cours n'implique pas que l'on abandonne la construction abus sexuel sur enfant, mais seulement qu'on l'utilise de façon plus mesurée, dans un souci de rigueur scientifique accrue. Son usage est scientifiquement justifié quand la sexualité précoce est indésirable et vécue de façon négative – ce qui est souvent le cas par exemple pour l'inceste père-fille. En général, les résultats de nos études portant sur les étudiants montrent que la définition socio-légale de l'ASE se justifie davantage pour les petites filles ou les adolescentes que pour les jeunes garçons ou les adolescents, étant donné le taux plus élevé d'expériences indésirables et négatives chez les filles. Cependant, puisque certaines femmes jugent leurs expériences précoces positives, ne se considèrent pas comme victimes et ne montrent aucun signe d'atteinte psychologique, il nous faut rester prudents quand nous définissons l'abus – que ce soit pour les garçons ou pour les filles – au cours des recherches entreprises pour mieux comprendre ce type d'expérience sexuelle.

ÉCHANTILLONS NON CLINIQUES

SUR LA SEXUALITÉ GARÇON-ADULTE.

 

Avant de faire les deux comptes rendus quantitatifs de publications dont nous venons de traiter, nous avons fait notre propre compte rendu qualitatif de publications. Nous avons rassemblé toutes les études publiées sur des expériences sexuelles de garçons avec des adultes, basées sur des échantillons non cliniques. La raison de cette recherche est double. D'abord les précédents compte rendus critiques avaient en général négligé les expériences sexuelles des garçons, se concentrant sur celles des filles, ou ils avaient estimé que les expériences des garçons et celles des filles étaient identiques. En second lieu, les compte rendus critiques précédents, lorsqu'ils se sont intéressés aux expériences sexuelles garçon-adulte, ont employé des échantillons cliniques. Ces failles montraient bien qu'il fallait désormais se consacrer aux expériences garçon-adulte, surtout dans la population non clinique. Rappelons encore une fois que pour arriver à comprendre réellement ce type de sexualité (ou tout autre type de comportement), on ne peut s'appuyer sur des échantillons cliniques à cause des innombrables problèmes que nous avons évoqués plus haut dans cette présentation.

Nous avons repéré 35 études utilisables pour notre analyse. 16 étaient basées sur des échantillons étudiants et 6 sur des échantillons nationaux. Nous avons déjà utilisé ces études dans nos deux méta-analyses. Les 13 études restantes ont été obtenues de façons diverses. Certaines étaient basées sur des échantillons communautaires, d'autres sur les réponses à des petites annonces dans les journaux; d'autres encore sur des contacts personnels. Une dernière était basée sur des réponses obtenues par bulletin d'affichage informatique. Ces derniers échantillons constituent ce que nous appelons des "échantillons occasionnels" (le chercheur les obtient comme il peut, par tous les moyens disponibles). On ne peut pas considérer que ces échantillons soient représentatifs de la population en général, tout comme les échantillons cliniques. Cependant, ils nous donnent une occasion de plus d'étudier les expériences sexuelles garçon-adulte sans suivre la démarche habituelle qui consiste à étudier la population clinique.

Nous avons déjà passé en revue de façon exhaustive les réactions et les implications psychologiques dans nos méta-analyses, grâce à nos échantillons nationaux et étudiants. Alors, avançons un peu et parlons des résultats provenant des échantillons occasionnels.

L'étude basée sur le bulletin d'affichage informatique indiquait que 58% des hommes jugeaient leur expérience sexuelle garçon-adulte positif alors que 28% la trouvaient négative. Dans un échantillon occasionnel venant de Knoxville (Ohio) 36% des hommes jugeaient l'expérience positive, 24% neutre, et 40% négative. 66% considéraient que l'expérience n'avait eu aucun effet négatif sur leur vie sexuelle présente, alors que 34% estimaient le contraire. Une autre étude, comprenant des homosexuels mâles contactés dans une clinique spécialisée dans les MST, donne 58% d'expériences négatives. Dans cette étude, un pourcentage important (50%) a vécu un rapport contraint, ce qui peut expliquer ce chiffre particulièrement élevé.

Parmi ces trois études, la première et la troisième ont respectivement des taux plus élevés et plus bas de réactions négatives, alors que la deuxième a un profil très semblable à celui des échantillons étudiants dont nous avons déjà parlé. D'autres échantillons ont montré des réactions essentiellement positives. Sandfort aux Pays-Bas a trouvé que, sur les 25 garçons qu'il a interrogés, 24 ont vécu de façon largement positive l'aspect sexuel de leur relation avec des hommes.

Les critiques n'ont généralement pas admis cette étude pour diverses raisons : l'une étant que les garçons étaient recrutés pour cette étude par leur partenaire adulte, qui avait pu les influencer. Beaucoup de ces critiques pensaient que les réactions ne pouvaient être que négatives, on aurait donc fait pression sur les garçons pour qu'ils fassent un rapport positif. Notre compte rendu sur les études en milieu universitaire, de même que les données provenant des autres échantillons occasionnels dont nous avons parlé, montrent clairement qu'une importante minorité des garçons vivent ces contacts de façon positive, ce qui plaide en faveur des conclusions de Sandfort. Le nombre particulièrement élevé de réactions positives dans son étude tient sans doute au fait que les contacts sexuels s'accompagnaient d'un lien d'amitié. D'autres échantillons occasionnels portant sur des garçons qui vivaient une aventure sexuelle avec un adulte dans un contexte d'amitié réciproque ont généralement donné le même résultat. Une étude du même type a été fait en Angleterre par le Père Ingam, une autre aux USA par le psychologue Tindall.

Les spécialistes de l'abus sexuel nous livrent souvent des anecdotes tirées de cas d'étude afin d'illustrer de manière éclatante "l’horreur de la sexualité enfant-adulte". Par exemple, dans le cas des garçons, dans un rapport de 1979 basé sur un échantillon étudiant, Finkelhor notait que 38% de ses garçons réagissaient négativement : ce qui veut dire que la majorité (62%) réagissait de façon positive ou neutre. A propos des expériences survenues entre 12 et 15 ans, Finkelhor ne s'occupait que des épisodes indésirables, ce qui a nécessairement augmenté artificiellement le chiffre des réactions négatives. Finkelhor ne nous a pas du tout renseigné sur les cas non négatifs, mais il nous a en revanche fournie plusieurs exemples d'expériences négatives. Dans l'une d'elles, l'interlocuteur demandait à un étudiant de comparer sa rencontre garçon-adulte avec d'autres expériences qu'il avait pu connaître dans sa vie. L'étudiant a répondu: "Beaucoup plus traumatisant sur le moment, très angoissant; je n'ai sans doute rien vécu d'aussi angoissant dans ma vie". L'interviewer lui demande ensuite si ça a été le plus grand traumatisme de sa vie. Réponse de l'étudiant : "Oh! Sans aucun doute. Surtout parce que j'ai passé deux mois à l'éviter. Je savais toujours où j'étais, avec qui j'étais et si le groupe était assez important pour qu'il ne puisse pas me remarquer, et, voyez-vous, c'était assez terrifiant". "Est-ce que je peux sortir ? Est-ce que c'est prudent ? Il n'y a rien de plus traumatisant".

Cette anecdote illustre ce que la plupart des spécialistes de l'abus sexuel croient être la réaction typique d'un garçon face à l'abus. Mais les chiffres, même dans l'étude de Finkelhor, montrent que ce n'est pas la réaction typique. En fait il y a toute une palette de réactions possibles.

Il est important de rapporter des anecdotes qui illustrent les autres types de réactions de façon à avoir une image complète des expériences garçon-adulte. Malheureusement, les spécialistes de l'abus sexuel ne nous fournissent pratiquement jamais d'anecdotes positives ou neutres. Il en résulte que le lecteur non averti ne voit jamais de réactions non négatives ; il ne garde en mémoire que l'exemple frappant et négatif, ce qui influence la façon dont il perçoit ce genre de relations.

En psychologie, l'influence biaisant est un phénomène bien connu que l'on appelle effet d'éclat. Un souvenir éclatant crée à son tour un lien illusoire, ce qui veut dire, dans le cas présent, une impression exagérée que la sexualité garçon-adulte entraîne des dommages. Pour rétablir l'équilibre, nous allons maintenant rapporter une anecdote positive, qui provient d'une publication non clinique, afin de donner une image plus nuancée des réactions de garçons. Cet exemple vient de Tindall (1978), qui a rassemblé deux cents études de cas portant sur des relations garçon-homme à partir des entretiens qu'il a eus pendant toute sa carrière de psychologue. Tindall a suivi beaucoup de ces garçons jusqu'à leur entrée dans l'âge adulte, et au-delà.

Denver était connu à l'âge de 13 ans pour avoir pris part à des actes de vandalisme dirigés contre un collège et avoir ensuite fugué. Ses capacités étaient au-dessus de la moyenne. Il s'intéressait à la technique et à la mécanique.

Denver est devenu pubère à 14 ans. Il a été initié à la masturbation par des camarades, dont certains étaient sexuellement plus développés que lui. Au cours de sa 14ème année, il s'est mis à passer son temps libre aux alentours d'une station service où il a fait la connaissance d'un chef d'atelier d'une quarantaine d'années, marié et sans enfants. Le mécanicien et Denver ont commencé à faire des sorties ensemble. Au cours d'une partie de pêche, ils se sont mis à parler de sexe, à la suite de quoi le mécanicien a pratiqué une fellation sur Denver et Denver a masturbé le mécanicien. Au cours des 5 années suivantes, ils ont pratiqué la fellation mutuelle environ deux à trois fois par semaine. Denver a cessé d'avoir des rapports sexuels avec le mécanicien au cours de sa 19ème année, mais il a continué à avoir des liens très étroits avec lui jusqu'à sa mort.

Denver a maintenant 44 ans. Il a été marié et a eu deux fils. Il a divorcé et élevé ses garçons. L'un d'eux est allé à l'université et l'autre dans une école technique. Denver s'est remarié, et c'est un mécanicien apprécié qui est dans la même entreprise depuis 20 ans. Il a une position de responsabilité et il pense que sa relation avec son ami mécanicien l'a aidé à atteindre son but. Il dit que s’il avait appris que l'un de ses fils avait une relation de ce type, il n'y aurait pas fait obstacle. Il dit n'avoir eu aucun désir de faire l'amour avec quelqu'un de son sexe depuis l'âge de 20 ans environ.

Cette anecdote contraste fortement avec celle de Finkelhor. Elle montre une relation sexuelle consentie et durable sur fond d'amitié. Loin de craindre l'adulte, comme dans l'histoire de Finkelhor, le garçon a profité pleinement de sa relation. Il a pris modèle sur l'adulte et a réussi dans sa profession. L'histoire montre aussi que le garçon était délinquant avant de rencontrer cet homme. Cela cadre avec nos précédentes remarques; le milieu familial, quand il est facteur de délinquance, prédispose les jeunes à bien d'autres comportements hors-normes comme la sexualité avec un adulte.

Ces histoires racontent des expériences réelles. Certains garçons ont peur, comme dans le premier cas, d'autres réagissent avec plaisir comme dans le second. On pourrait donner beaucoup d'autres exemples du second type, provenant d'autres échantillons occasionnels utilisés dans notre compte rendu. Le problème est que les spécialistes de l'abus sexuel, les médias et le public profane semblent ne vouloir accepter que le cas négatif. Peut-être croient-ils que les exemples positifs sont si rares que, soit-ils ne sont pas authentiques, soit, même s’ils paraissent vrais, ils ne peuvent être considérés comme pertinents. Mais nos données tirées d'un grand nombre d'échantillons démontrent que les cas positifs sont aussi fréquents que les cas négatifs, il faut donc tenir compte des deux, faute de quoi on déforme la réalité. Une fois admis qu'il existe des réactions positives et des réactions négatives, on peut se demander ce qui rend telle relation positive et telle autre négative.

En 1981, Constantine a présenté un modèle utile pour expliquer ces réactions, positives ou négatives (tableau 13). Ce modèle propose deux éléments clés. Le premier est le sentiment de l'enfant ou de l'adolescent lui-même qu'il est d'accord pour avoir une relation sexuelle. Cet accord suppose la liberté de participer ou de dire non. Constantine a observé que les réactions étaient étroitement liées à la volonté de participation : des réactions positives étaient associées à des rencontres consenties, des réactions négatives suivaient des actes obtenus par la force, la contrainte ou la ruse. Le second élément étant ce que la jeune personne connaît sur la sexualité. Une complète ignorance peut induire de l'anxiété pendant ou après l'acte ; de même, le fait d'avoir intégré les "jugements moraux négatifs" sur le sexe (c'est mal, c'est sale) peut aussi conduire à un sentiment de honte, de culpabilité ou à d'autres réactions négatives. Les résultats de notre compte rendu sur le sexe garçon-adulte basé sur des publications non cliniques sont en accord avec ce modèle. Dans nos études, la force et la contrainte étaient invariablement associées à des réactions négatives, alors qu'une participation consentante ne l'était pas. Ceux qui ignoraient tout du sexe et éprouvaient à ce sujet un sentiment de honte avaient des réactions négatives; ceux qui étaient informés sur la sexualité et n'en éprouvaient pas de honte n'en avaient pas.

TABLEAU 12
Degré de consentement d’enfants / adolescents vis-à-vis d’un contact sexuel avec un adulte masculin
(d’après un échantillon obtenu auprès de sources judiciaires, Gebhard et al (1965) )

Sexe et âge du mineur

Encouragement

Passivité

Résistance

Nombre de cas

garçons

       

enfants (< 11 ans)

52,3%

6,8%

40,9%

44

adolescents (12 à 15 ans)

70,3%

11,0%

18,7%

91

filles

       

enfants (< 11 ans)

13,4%

11,0%

75,6%

82

adolescentes (12 à 15 ans)

69,0%

0,7%

30,3%

142

 

TABLEAU 13
Culpabilité / anxiété en fonction du consentement / des connaissances sexuelles
au cours d’expériences sexuelles de mineurs, Constantine (1981)

Connaissances de l’enfant

Participation de l’enfant

 

forcée

passive

consensuelle

ignorant

grande anxiété

grande anxiété

anxiété modérée

 

faible culpabilité

faible culpabilité

faible culpabilité

conscient des tabous

grande anxiété

grande anxiété

anxiété modérée

 

faible culpabilité

grande culpabilité

culpabilité modérée

sexuellement " au courant "

grande anxiété

anxiété modérée

faible anxiété

 

faible culpabilité

faible culpabilité

faible culpabilité

au courant et conscient des tabous

grande anxiété

anxiété modérée

faible anxiété

 

faible culpabilité

grande culpabilité

culpabilité modérée

 

Le problème du consentement.

Consentement signifie pour nous volonté de participer (par opposition au consentement éclairé). Il est important pour comprendre les différences de réactions que nous avons décrites, selon le sexe. Les spécialistes de l'abus sexuel insistent souvent sur ce point : il n'y a pas possibilité de consentement. Ils ne tiennent donc pas compte de cette variable. Mais leur insistance s'appuie sur des définitions socio-légales, ils utilisent la notion de consentement éclairé, qui est différente. C'est le consentement simple (la possibilité de dire oui ou non) qui nous permet de prédire les réactions de façon fiable : c'est donc cette variable que les chercheurs devraient prendre en compte. Avant que l'industrie de l'abus sexuel ne se développe, certains chercheurs s'intéressaient aux différentes gradations du consentement simple.

Dans le tableau 12, nous rappelons le résultat d'une étude à grande échelle réalisée par l'Institut Kinsey au milieu des années 60. En se basant sur des documents judiciaires, les chercheurs ont classé le degré de consentement de garçons et de filles lors de leurs rencontres sexuelles avec des hommes de la façon suivante : attitude favorable, neutre ou hostile. Comme on le voit, il y a une différence sensible selon le sexe, pour les enfants de moins de 12 ans : une petite majorité de garçons (52%) était favorable à la relation alors que peu de filles l'étaient (12%). En outre, les filles étaient deux fois plus nombreuses à y être hostiles (80% contre 40%). Pour les mineurs (âgés de 12 à 15 ans), la majorité des garçons et des filles avait une attitude favorable (70%) mais là encore les filles étaient deux fois plus nombreuses à être hostiles (30% contre 16%). Ces chiffres, tirés d'un échantillon judiciaire, confirment que les garçons ont tendance à participer de leur plein gré plus volontiers que les filles. Leur attitude est généralement positive ou neutre, comme nous l'avons constaté à plusieurs reprises en examinant les publications non cliniques consacrées à ce sujet.

 

CONCLUSION.

L'actuel président de l'Association Américaine de Psychologie, Martin Seligman, a raconté l'expérience positive qu'il a eue dans les années 50, à l'âge de 9 ans, avec un vendeur de journaux qu'il rencontrait tous les jours sur le chemin de l'école. Comme le notait Selingman, le type de rapport qu'ils ont eu serait aujourd'hui qualifié d'abus sexuel sur enfant.

Mais pour lui il ne s'agissait pas d'un abus. Cet homme était la première personne qui le prenait au sérieux, qui voulait bien parler avec lui des problèmes du monde (relatés par les journaux qu'il vendait). Seligman pensait que si les autorités étaient intervenues dans leur relation et lui avaient posé des questions sur cet homme, si ses parents avaient réagi de façon disproportionnée et l'avaient contraint à voir un psychologue qui l'aurait persuadé qu'il était une victime, alors, toute l'expérience que jusqu'à ce jour il estime être positive, serait devenue négative.

Dans un de ses derniers livres, Seligman a étudié un certain nombre de recherches publiées sur les troubles associés à l'ASE. Il a conclu que les spécialistes de la santé mentale ont largement surestimé la dangerosité potentielle de l'ASE. Il a estimé qu'il était temps de mettre une sourdine à cette pitoyable comédie. Il a écrit que les enfants qui sont vraiment maltraités et qui souffrent doivent être considérés comme des victimes et aidés. Mais imposer le rôle de victimes à ceux qui ne se sentent en rien brimés, c'est courir le risque d'une victimisation iatrogène, c'est à dire de provoquer par cette attitude des symptômes que les actes sexuels en eux-mêmes n'ont pas produits.

Nous sommes parfaitement d'accord avec les remarques de Seligman. Le résultat de toutes nos études le montre clairement : tenir pour acquis, comme le font la plupart des professionnels de la santé mentale, des hommes de loi, des policiers spécialisés, des médias et le public en général, que les relations sexuelles définies par le terme ASE provoquent des dommages profonds et généralisés aussi bien chez les garçons que chez les filles, c'est se livrer à une grossière exagération. Cette exagération fait partie d'un nouveau mode de pensée en noir et blanc où le gris n'a plus sa place. Cette pensée, à son tour, a le pouvoir de générer des réactions hystériques qui se sont multipliées depuis les années 80. Un exemple frappant de mystification de ce type a été la multiplication des cas d'abus sexuels sataniques signalés dans les maternelles aux USA il y a 15 ans. Pour comprendre toutes les implications de cette hystérie à propos de l'abus sexuel, due à des idées complètement extravagantes sur l'ASE, examinons quelques exemples.

En 1983, à Manhattan Beach (Californie), la mère d'un garçon de deux ans a prétendu que son fils avait été abusé sexuellement au jardin d'enfants Mc Martin par un certain Ray Buckey, petit-fils de la directrice et membre du personnel. Au fil des mois ses accusations sont devenues de plus en plus bizarres. Elle a affirmé qu'on avait emmené son fils par avion dans une autre ville où il avait rencontré un chevrier. Là, Ray Buckey s'est mis à voler dans les airs; sa mère, habillée en sorcière, a fait un lavement au petit garçon. On lui a planté des agrafes dans les oreilles, les tétons et la langue, on lui a enfoncé des ciseaux dans les yeux. On a égorgé des animaux devant lui, on a coupé la tête d'un bébé et on a forcé le petit garçon à boire son sang.

La mère de l'enfant était sujette à des hallucinations. Pourtant, la police et les psychologues ne se sont pas montrés sceptiques. Bien au contraire, ils ont mené une enquête approfondie pour savoir si d'autres enfants se trouvaient concernés. Les parents, à qui on avait fait peur et qui craignaient que leurs enfants aient pu eux aussi être victimes, les interrogeaient sans relâche. La police et les travailleurs sociaux ont interrogé 400 élèves ou anciens élèves de l'école. Au début, aucun enfant n'a reconnu le moindre abus. Mais les travailleurs sociaux ont fait une telle pression sur les enfants que la plupart d'entre eux se sont mis à proférer des accusations : il s'agissait d'histoires abracadabrantes où il était question d'enlèvements par des hommes en cagoules, de mutilations rituelles d'animaux et de bébés, d'orgies sexuelles ayant lieu dans des tunnels situés sous l'école. Pour provoquer ces accusations, les travailleurs sociaux ont eu recours à diverses techniques comprenant, entre autres, la désinformation, la menace, la promesse de gratification, la modélisation.

Pour avoir des exemples de ces techniques et la preuve expérimentale incontestable de leur redoutable capacité à produire de faux souvenirs, nous vous renvoyons à un article publié en 1998 par Garven et ses collègues dans Journal de Psychologie Appliquée (vol. 83, p. 347-359). Pour finir, après deux procès qui ont duré 7 ans et coûté environ 20 millions de dollars – ce qui en a fait les procès criminels les plus longs et les plus coûteux de l'histoire américaine – aucune condamnation n'a été prononcée. Ray Buckey a dû cependant passer cinq ans en prison avant de recouvrer la liberté.

Il y a d'autres exemples. En 1985 dans le New Jersey, Kelley Michaels est accusée d'avoir agressé sexuellement des maternelles avec du beurre de cacahouète, des épées, des tampons imbibés de sang, de l'urine, des excréments, le tout accompagné de menaces de mort. Elle était censée avoir commis ces crimes contre des dizaines d'enfants pendant sept mois, au milieu de tout le monde sans qu'aucun adulte ne la voie et sans laisser aucune trace physique. Le jury l'a condamnée à près de 50 ans de prison. Après cinq années d'incarcération, sa condamnation a été annulée.

Dale Akiki, un ancien professeur de San Diego, a été accusé par ses jeunes élèves d'avoir sacrifié des lapins, tué un éléphant et une girafe, sodomisé des enfants avec un fer à friser, les avoir mis sous la douche et fait couler alternativement l'eau chaude et l'eau froide jusqu'à ce qu'ils vomissent, leur avoir enfoncé la tête dans la cuvette des W.C., les avoir forcés à avaler des excréments et de l'urine, avoir tué un bébé et les avoir forcés à boire son sang. Comme dans le cas de Kelley Michaels, tout s'était soi-disant produit alors que d'autres adultes se trouvaient sur les lieux et n'avaient rien remarqué. Comme pour Michaels, on n'a pas pu trouver la moindre trace d'indice matériel. Cependant, il fut poursuivi et passa en procès, risquant une condamnation à perpétuité. Il eut la chance d'être acquitté après n'avoir passé que deux ans et demi en prison. Robert Kelly, codirecteur du jardin d'enfants "Les Petits Chenapans" en Caroline du Nord, a été poursuivi pour des faits similaires. Son procès a été le plus long et le plus coûteux de toute l'histoire de cet Etat. Il fut déclaré coupable et condamné 12 fois à la prison à vie. Au bout de cinq ans passés en prison, sa condamnation fut annulée.

Prenons un dernier exemple. Un jour de 1989, alors qu'il allait se rendre au travail vêtu de son uniforme Burger King, Bobby Fijnje, un citoyen hollandais, fut arrêté chez lui en Floride du Sud, accusé d'avoir agressé les jeunes enfants dont il était le baby-sitter et d'avoir abusé d'eux au cours de rituels sataniques. Une affaire d'autant plus exceptionnelle que Bobby n'avait que 14 ans à l'époque et que, comme l'attestent des photos de lui à cet âge, il paraissait plus jeune : c'était encore un gamin. Malgré cela, la police, les médias et les procureurs l'ont attaqué sans merci. Comme il devait le raconter plus tard, le policier qui l'a arrêté, l'inspecteur Martinez, lui a dit en le conduisant jusqu'à la voiture de police : "Avant de te connaître, je savais que tu étais coupable. Mais maintenant que je te connais, j'en suis absolument certain."

Le déchaînement médiatique contre Bobby n'a pas connu de cesse. Les médias ont révélé aux spectateurs que les parents de Bobby étaient membres d'un réseau international de pornographie et que Bobby avait entraîné des enfants à accomplir d'horribles rituels, comme (par exemple) faire cuire un bébé et le dévorer. Les procureurs l'ont inculpé comme un adulte, ce qui voulait dire que s’il était reconnu coupable, ne fût-ce que d'un seul des chefs d'accusation pesant contre lui, il serait condamné à la réclusion à perpétuité dans une prison de haute sécurité, sans possibilité de libération conditionnelle. Pendant le procès, les procureurs ont fait de leur mieux pour faire passer ce garçon pour un monstre. Leur volonté farouche de faire en sorte que le garçon meure de vieillesse en prison apparaît clairement quand on sait que trois millions de dollars ont été dépensés pour ce procès (qui a été le plus coûteux de toute l'histoire de la Floride).

Après près de deux ans passés en prison, avoir enduré trois mois de procès, Bobby fut totalement acquitté. Ce résultat fut obtenu grâce au témoignage capital du Docteur Stephen Ceci, un grand psychologue de l'Université de Cornell qui a mené des recherches retentissantes montrant comment, en interrogeant des enfants de façon insidieuse, on pouvait faire naître de faux souvenirs qui menaient à de fausses accusations d'abus. Ses recherches ont permis depuis lors d'annuler de nombreuses condamnations concernant des personnes travaillant dans des jardins d'enfants.

La responsable de ces attaques impitoyables contre Bobby, ce fut Janet Reno, alors Procureur Général de l'état de Floride. Elle prétendait mener une croisade en faveur des enfants, et s'occupait principalement de poursuivre les abus sexuels. Elle pensait que l'abus sexuel était le pire des crimes et croyait que les enfants ne mentaient jamais à ce sujet. Sa méthode Miami, comme on l'a appelée, a fait des émules parmi les autres procureurs du pays. Elle consistait en particulier à effectuer des interrogatoires très agressifs comme dans l'affaire Mac Martin. La méthode Réno était davantage susceptible de "planter des graines funestes dans l'esprit des enfants" – pour reprendre le titre d'un article récent du New York Times – que de retrouver des souvenirs authentiques.

Reno a supervisé personnellement l'instruction de Bobby. Après les délibérations du jury, Bobby a dû passer deux heures et demie dans l'angoisse avant d'entendre l'énoncé du verdict, car il fallait que Reno soit présente dans le tribunal (sans doute pour qu'on la félicite d'avoir réussi à faire condamner Bobby). Grâce au témoignage du Dr Ceci, montrant comment les experts en abus sexuel avaient faussé les déclarations des enfants, Reno s'est déplacée pour rien ce jour-là. Dans une interview récente, présentée à la télévision américaine en octobre dernier, on demandait à Bobby, qui a maintenant plus de vingt ans, ce qu'il dirait à Reno s’il avait l'occasion de lui parler aujourd'hui. Voilà sa réponse :

Pourquoi avez-vous dépensé tant d'argent pour essayer de faire condamner un gosse de 14 ans ? Pourquoi avoir voulu mettre un gamin de 14 ans dans une prison de haute sécurité ? Comment quelqu'un qui part en croisade pour les enfants peut-il avoir l'idée de faire une chose pareille ?

Reno ne s'est jamais excusée de la façon agressive dont l'instruction avait été menée, et n'a même jamais reconnu que les méthodes employées aient pu être le moins du monde contestables. Pour la récompenser de son ardeur inquisitrice, on l'a nommée Ministre de la Justice des Etats-Unis, le rang le plus élevé de la hiérarchie judiciaire en Amérique. Un mois après avoir pris ses fonctions en 1993, Reno a ordonné l'assaut contre une secte religieuse près de Waco au Texas. Elle avait reçu du FBI des informations selon lesquelles des relations sexuelles se produisaient entre des adultes et des jeunes filles mineures. Toutes ces jeunes filles, ainsi que les autres membres de la secte, sont morts dans l'attaque. Incidemment les informations du FBI concernant des abus se sont révélées sans fondement. Une fois de plus le zèle de Reno pour "sauver" les enfants a conduit au désastre note 6.

Un vent de folie a soufflé sur les jardin d'enfants; les quelques cas exposés ne sont que des exemples parmi les nombreux cas qui ont touché l'ensemble des Etats-Unis et ont ensuite atteint nombre d'autres pays dans le monde.

Cette folie prend racine sur l'idée extravagante que l'ASE est tellement destructrice que tous les moyens sont bons pour éradiquer ce "mal absolu". Cette hystérie ne s'est pas limitée aux jardins d'enfants. A la fin des années 80, la théorie de la mémoire retrouvée a commencé à gagner du terrain. Elle était basée sur l'idée que l'ASE est tellement traumatisant pour les enfants qu'ils sont obligés d'en refouler le souvenir pour survivre. Beaucoup de thérapeutes ont commencé à fouiller agressivement l'enfance de leurs patients dans l'espoir d'y trouver des souvenirs cachés d'ASE, convaincus que ceux-ci étaient responsables de tous les problèmes psychologiques de leurs patients. A l'aide des même techniques coercitives utilisées lors des enquêtes en jardins d'enfants, ces thérapeutes ont fait naître de faux souvenirs dans le cerveau de beaucoup de ces patients vulnérables. Les patients adultes se sont alors retournés contre leurs parents, les accusant et les poursuivant même souvent en justice. Des familles entières se sont déchirées.

Il se trouve que la théorie de la mémoire retrouvée n'a aucun fondement scientifique. Il s'agit simplement d'un mouvement irrationnel né d'idées extravagantes sur l'ASE.

D'un point de vue psychologique, il est prouvé que les enfants des maternelles chez qui on avait fait naître le faux souvenir d'avoir été violés dans des tunnels ou sodomisés au fer à friser, ont souffert de divers symptômes pathologiques d'ordre clinique. Mais ces symptômes sont apparus après et non avant que les spécialistes de la protection de l'enfant ne les interrogent. Il est aussi prouvé, documents à l'appui, que de nombreux patients soignés par la mémoire retrouvée, loin d'être soulagés, ont vu leur état empirer après le début du traitement. Ces réactions pathologiques chez les enfants interrogés et les patients traités sont, de toute évidence dus aux effets de l'intervention. Le pire étant que les chercheurs de l'industrie de l'abus sexuel en ont profité pour attribuer ces nouveaux symptômes aux effets pathogènes de l'ASE.

Pour terminer, nous insistons sur le fait que notre exposé n'est nullement destiné à plaider en faveur d'attitudes classées dans la catégorie ASE.

Mais nous tenons à affirmer aussi que des vues extravagantes sur la nature de l'ASE peuvent considérablement aggraver le problème. Et tel a bien été le cas. Il est impératif que le discours social sur les attitudes classées dans la catégorie ASE se fasse sur des bases rationnelles et non émotionnelles, faute de quoi tous les problèmes dont nous avons parlé ne pourront que perdurer.

Comme Goya l'observait dans l'un de ses croquis : 
"El sueno de la razon produce monstros" note 7

Les Notes

  1. Psychologue américain menant des recherches sur le SIDA à l’Université de Maryland. Il a publié dans de nombreuses revues scientifiques de premier plan, comme Annual Review of Sex Research, Journal of Sex Research, Journal of Psychology and Human Sexuality, Archives of Sexual Behavior, Psychological Bulletin, etc. Il a également participé à l’ouvrage de référence Based and Applied Social Psychology . Le texte de sa conférence de Rotterdam reprend les résultats de recherches commentés dans divers articles et ouvrages. [En arrière]

  2. En France, on parle maintenant de viol pour toute relation avec un mineur de quinze ans impliquant une pénétration de quelque type que ce soit, même si le mineur est consentant ou instigateur (N.D.T.). [En arrière]

  3. En France, le nouveau code pénal a remplacé l’attentat à la pudeur – désuet mais qui avait le mérite de n’impliquer qu’une condamnation sociale – par agression sexuelle, qui introduit une notion de violence et de dommages même lorsque le rapport est consenti (N.D.T.). [En arrière]

  4. De même, les jurés d'assises, à la simple lecture de tels chefs d'inculpation, sont persuadés qu'ils ont nécessairement affaire à d'horribles violences, qui provoquent chez les victimes d'irréparables dommages. De ce fait, ils condamnent sans retour – et sans arrière pensée – les auteurs de ces actes (N.D.T.). [En arrière]

  5. On peut valablement supputer les effets négatifs qui auraient pu se produire s’ils avaient été privés de ces expériences positives... (N.D.T.). [En arrière]

  6. Un zèle payant, puisque Reno est aujourd'hui encore Ministre de la Justice des Etats-Unis (mai 1999). [En arrière]
  7. Le sommeil de la raison produit des monstres.

 

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